Fan-fictions World of Warcraft.
Misère par Eyaell Valorians Contes et légendes du monde  <    Publications     > 

[D'après Le poirier de Misère, de Charles Deulin.]
Misère

par Eyaell Valorians
Adapté par Ione Densilla pour les Editions du Nénuphar.
— S'il vous plaît, ouvrez-moi ! De grâce, ouvrez la porte à un voyageur surpris par l'orage !
Dans la masure, la vieille femme sursaute aux coups frappés à la porte et son chien gronde.
— Je vous en prie, il pleut et la nuit tombe ! Ouvrez-moi !
La vieille femme hésite. Elle a peur, mais elle a bon cœur et ne craint pas les voleurs, n'ayant aucune richesse. Aussi ouvre-t-elle la porte. Un inconnu entre précipitamment, sa lourde cape trempée laissant une petite mare derrière lui. La maisonnette est pauvre, mais un bon feu ronfle dans la cheminée. Le vieux chien, seul compagnon de la femme, va se recoucher devant l'âtre.
— Votre nom, ma Dame, que je sache qui remercier, demande l'inconnu en s'approchant du feu pour se sécher.
S'affairant à servir le reste d'une soupe encore chaude dans un bol ébréché, la vieille femme répond :
— On m'appelle Misère, parce que j'suis pas bien riche voyez ? Z'avez qu'à prendre le lit, moi j'dormirai avec le chien.
Surpris par ce bon accueil, le visiteur savoura la soupe, pourtant très simple. Il s'allongea ensuite dans le lit que lui avait laissé Misère et s'endormit sans tarder, bien au chaud et repus.
Le lendemain, bien reposé, le visiteur dit à Misère :
— Tu es généreuse, Misère. Pour exprimer ma gratitude, je t'accorderai un vœu. N'importe lequel. La richesse, la gloire, la bonne santé, l'amour ou... Ce que tu veux, choisit !
C'est à la vieille femme cette fois d'être surprise. Pensant que l'étrange visiteur est un peu simple, ou gentil et plaisantin, elle décide de répondre sur le même ton.
— J'ai qu'une chose ici qui soit d'un peu de valeur. Mon pommier, là-bas, dehors. Chaque année, à la bonne saison, il m'donne les meilleurs fruits du village, mais tous les enfants du coin me volent mes pommes, ne me laissant que les plus flétries... Alors, oui, j'voudrais bien que les voleurs restent collés aux branches !
L'homme réfléchit un instant, fait un geste de la main en croisant ses doigts et annonce d'un ton très sérieux, presque sentencieux :
— Accordé ! Que cela soit ! Mais retiens bien ceci pour délivrer tes voleurs, Misère : "Fer de cendre, écorce et vérité."
Et à peine ces mots prononcés, il disparut dans un tourbillon de cape.

De fait, comme promis, l'arbre eut tôt fait de se couvrir de gamins, et même d'hommes faits, voisins ou voyageurs qui n'avaient pu résister aux pommes gonflées de sucre du verger de Misère. En vérité, la vieille femme riait bien en regardant les voleurs se tortiller en vain, comme d'étranges fruits, et elle prit plaisir à les délivrer en récitant la formule magique, fer de cendre, écorce et vérité, non sans leur avoir rossé le derrière.
Ainsi, Misère put-elle s'amuser et se régaler, comme promis, de toutes ses délicieuses pommes.
 
Mais un jour, un jour Misère reçut une autre visite. Son long visage osseux en partie dissimulé par une sombre capuche, portant une gigantesque et terrible faux, la Mort venait chercher la vieille femme.
— Dame la Mort, implora Misère, j'sais bien que voilà mon heure, mais, s'il vous plaît, pourriez-vous m'accorder une dernière faveur ?
— Parle, vieille femme, répondit la Mort dans un chuchotement glacial, mais sache que je n'accorde jamais aucun délai.
— J'voudrais... J'aimerais manger une dernière pomme avant de partir, car là où vous m'emmenez, j'sais bien que j'en mangerai plus des aussi bonnes ! J'me suis tordu le dos ce matin — j'vous souhaite pas de vieillir dame la Mort... Pourriez-vous m'en cueillir une, pour la route ?
Pour une fois que la requête était simple et rapide, la Mort, pas mauvaise au fond, alla dans le verger et grimpa elle-même au pommier pour y cueillir un fruit. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle constata qu'elle ne pouvait plus redescendre ! Tandis qu'elle pestait en maudissant Misère dans tous les langages connus des Royaumes, et d'autres inconnus, celle-ci, ravie de son forfait retourna à sa petite vie paisible.

La Mort suspendue au pommier, plus personne ne meurt. La nouvelle se répand bien vite, et partout, la joie éclate. Pourtant, si on ne meurt plus, la souffrance n'a pas disparu pour autant. Sur les champs de bataille, des blessés à qui il manque un bras, une jambe, ou le ventre troué, survivent. Les anciens, rendus séniles par l'âge, n'en finissent plus de radoter, et les malades souffrant mille morts ne connaissent plus de délivrance. Misère, dans sa masure, mange ses pommes et s'occupe de son vieux chien qui, bien que maigre et chenu, ne risque plus de mourir.

Un matin, un sombre matin, le soleil ne parvenant pas à percer d'épais nuages, un être aussi étrange qu'inquiétant apparu, laissant derrière lui une odeur de soufre et de pierre brûlée. Il s'avança vers Misère et la salua d'une courbette un peu trop appuyée. Après l'avoir longuement dévisagée de ses yeux d'un noir opaque qui ne reflétaient que peur et folie, il lui dit d'une voix chuintante :
— Vieille femme, mes Maîtres m'envoient à toi de par-delà les abîmes. Rien ne va plus ! Regarde autour de toi, le désespoir et la désolation se sont installés chez toi, plus personne ne peut espérer en être soulagé !
Laissant le temps à Misère de constater la triste vérité de ses paroles, il reprit, se fendant d'un sourire qu'il espérait amical malgré les bien trop nombreux crocs qu'il révélait.
— Vieille femme, si tu libères la Mort, je te promets que plus jamais personne ne souffrira ici. Plus de guerre, plus de maladie... Si tu libères la Mort, je fais disparaître tous les malheurs !
Bien qu'ayant reconnu dans l'inquiétant visiteur une sombre entité, Misère, le cœur ému par les souffrances de son peuple, accepta.
Fer de cendre, écorce et vérité, et la Mort tombe du pommier ! Elle se redresse bien vite, s'époussette, puis, avec un dernier regard sur la petite assemblée, abat sa terrible faux d'un large geste rageur afin d'honorer sa part de marché avec l'envoyé des puissances obscures.

Le chien de Misère fut le premier à périr, suivit de près par les gens du village, puis du pays, et ensuite des Royaumes, de Kalimdor, toutes races et allégeances confondues. Très vite, les animaux furent frappés, des ours qui vivaient dans les grottes d'Altérac jusqu'aux hirondelles qui nichaient dans les toits de Hurlevent, puis enfin les plantes moururent.

Plus de guerre, plus de souffrance, plus rien. Le marché avait été respecté.
La Mort n'épargna qu'une vie, celle de Misère, qui vécut seule avec ses remords jusqu'à la fin des temps, sous un ciel éternellement gris.
***