Cette histoire se déroule alors que les royaumes d'Arathor et de Quel'thalas étaient en bons termes. Les Humains avaient aidé les Hauts-elfes à repousser les Trolls Amanis et les Elfes partageaient leur magie avec la race humaine.

Une jeune Quel'dorei vivait dans un petit village au cœur de la forêt. Son enfance s'était paisiblement écoulée là, parmi les hauts bâtiments décorés de motifs sylvestres et la brise sauvage caressant les arbres.
Lorsque l'aube naissait, elle aimait se promener dans les paysages alentours et s'isoler pour parler aux fleurs et aux animaux. C'était une enfant sage et sans tourments mais, malgré l'amour que lui portait ses parents et la joie qu'aurait pu lui apporter cette vie sans souci, elle ne semblait jamais pleinement heureuse.
Souvent, ses pensées la portaient vers la ville humaine, au delà des montagnes, dont elle entendait son père parler et que l'on pouvait apercevoir au loin par beau temps si l'on grimpait tout en haut d'un grand arbre. Elle se plongeait alors des rêveries vagues, indéfinissables et intraduisibles en langage humain. Ce qui était un jour pour nous eut été une semaine pour elle.

Dans cette ville, vivait un jeune seigneur humain. Il avait suivi l'entrainement militaire à Strom jusqu'à devenir lieutenant, mais la vie de caserne, qu'il avait menée pendant deux ans, l'avait profondément déçu car il avait l'âme rêveuse.

C'était l'été et, chaque jour au petit matin, il chevauchait au hasard, laissant sa monture suivre les routes raboteuses qui menaient à la forêt, ou parfois les sentiers abrupts qui se perdaient dans les collines. Un jour qu'il s'était enfoncé dans la forêt plus profondément que d'ordinaire, accablé par la chaleur de midi, il poussa son cheval jusqu'à un ravin calme au fond duquel murmurait un ruisseau et où la jeune Elfe avait pour habitude de passer ses journées.

Elle lui apparut, légère et svelte dans sa tenue colorée, avec son visage d'un pur ovale, où les grands yeux bleus de la race quel'dorei scintillaient comme l'eau vive. Ses cheveux soyeux et blonds ondulaient tels les champs de blés et deux lourds anneaux d'or pendaient à ses longues oreilles gracieuses alors qu'elle jouait distraitement avec des brindilles vertes en chantant une complainte de son peuple.

Ne connaissant que très peu le thalassien, le jeune Humain s'avança vers elle et tenta d'entamer une conversation maladroite.
Elle l'aida à remplir sa gourde puis, chacun cherchant ses mots dans la langue de l'autre, s'aidant de gestes et de mimiques, ils se perdirent avec délice dans une conversation balbutiante et naïve. Elle le questionnait sans répit. Pourquoi était-il là ? Comment étaient les villes humaines ? Où et comment vivait-il ? Les champs des paysans, les tenues des belles dames, les coutumes de son peuple...

De retour dans le manoir familial, contrarié que sa méconnaissance de la langue ne lui permit pas de répondre intelligemment aux nombreuses questions de l'Elfe, et sans doute un peu vexé de ne pouvoir se montrer à son avantage, le jeune Humain s'acharna à l'étude du thalassien. Ensuite, dès qu'il avait un moment, quelques heures, il pressait son cheval pour la rejoindre, pris d'une impatience qui l'étonnait lui-même.

Elle essaya, elle aussi, de lui faire comprendre des choses dont le sens échappait au jeune homme la plupart du temps, mais devant sa grimace d'incompréhension, elle finissait toujours par rire, et ce rire clair réjouissait le jeune lieutenant.
Un soir, au moment de se quitter, la petite Elfe lui donna un baiser, le premier et, à partir de cet instant de bonheur ineffable, ils connurent chaque jour une félicité si pure et si complète que le temps, pour eux, ne comptait plus.
Mais le temps compte et le soleil tumultueux de l'été laissa bientôt la place aux reflets flegmatiques de l'automne.

Peu de temps après, le jeune lieutenant reçut un ordre de mission pour une région éloignée. Il n'osa en parler à son aimée, mais elle n'était pas dupe et lut dans son regard un chagrin croissant à mesure qu'approchait la date fatidique. Alors que ses baisers lui disaient de ne pas être triste, car quoi qu'il advienne elle serait à lui pour toujours, lui savait bien qu'en dépit de leurs sentiments, il devrait se plier aux ordres et à son honneur.
Maintenant, il maîtrisait suffisamment bien le thalassien pour pouvoir lui dire toute la passion qui l'habitait et lui répétait à l'infini Li'ohteri, li'ohteri, li'ohteri. Je t'aime, je t'aime, je t'aime.
Il ignorait que dans le langage elfe, ces mots d'amour sont intemporels, ils ne sont conjugués à aucun temps, et à tous les temps à la fois.

Le jour du départ, ils se quittèrent en larmes et il promit de revenir la chercher bien vite car il l'aimait et être séparé d'elle lui semblait insurmontable. Pourtant, au fond de lui, il savait qu'il n'était pas maître de cette promesse.
Confiante, la petite Elfe passait des jours entiers perchée sur un rocher à la lisière de la forêt, immobile, sourde aux bruits de la nature, écoutant le galop d'un cheval qui lui ramènerait son aimé.

Les semaines s'écoulèrent, sans nouvelles, puis les mois et les années.
A la tristesse de l'absence avait succédé l'inquiétude d'une nouvelle funeste. Elle demeurait dans l'angoisse qu'il ne soit plus de ce monde sans qu'elle ne le sache. Sa mémoire de Quel'dorei ne lui permettait pas d'oublier et, malgré tous les efforts des siens qui la voyaient dépérir, elle attendait toujours son retour, perdue dans cette souffrance cruelle et injuste de ceux qui, comme les jeunes enfants ou les animaux, n'ont même pas l'amère consolation de comprendre pourquoi ils souffrent.

Enfin, des années plus tard, on apprit que les nobles qui vivaient dans le manoir en bordure de la ville humaine fêtaient le retour de leur fils. Bien qu'elle fût amaigrie, faible et pâle, la jeune Elfe fit le voyage épuisant jusqu'au domaine humain et c'était grand jour de fête lorsqu'elle arriva.
En effet, le jeune seigneur, qui était maintenant un homme fait et sûr de lui, fort de l'expérience qu'il avait acquise durant ses voyages et ses campagnes militaires, présentait son élégante fiancée humaine à sa famille. Bien sûr, il se souvenait de ce qu'il appelait son "idylle elfique", mais tout cela était bien loin et l'ardent petit lieutenant amoureux semblait ridicule à l'homme qu'il était maintenant devenu. Ainsi, l'image charmante de sa Quel'dorei s'était peu à peu perdue dans ses souvenirs d'enfance, faillible mémoire mortelle, là où tout s'embrume et où nous refoulons tout ce que nous aurions souhaité être.

La raison sembla quitter la jeune Elfe lorsqu'elle sentit qu'un vent sombre emportait les morceaux de son cœur brisé.
Ses parents, en désespoir de cause, allèrent quérir l'aide d'une magicienne quel'dorei connue pour ses connaissances occultes car nul parent ne peut se peut se résoudre à voir mourir son enfant.
Ils revinrent avec un poignard à la lame courbe et luisante et dirent à leur fille :

Le soir des noces, la petite Quel'dorei se faufila jusqu'à la chambre nuptiale, la mort dans l'âme et le poignard levé. Elle contempla une dernière fois son noble Humain endormi, son élégante épouse reposant contre lui. Ses mains tremblaient de n'être celle qu'il serrait dans ses bras avec ce sourire satisfait, mais elle ne put se résoudre à frapper et à tuer celui qu'elle aimait pour l'éternité.

Elle s'enfuit dans la nuit sans se retourner, erra un long moment dans la forêt au milieu des grands arbres, puis finit par arriver près du ruisseau où ils s'étaient rencontrés, une éternité plus tôt. Elle reconnut l'herbe où ils avaient passé de si tendres journées alors que le soleil perçait les frondaisons. Le ruisseau, scintillant sous une lune pâle, chantait toujours son éternelle chanson aux notes cristallines, incompréhensible aux Humains.
Elle plongea la lame maudite dans son propre cœur, d'un seul coup.
La douleur qui lui déchira la poitrine et lui obscurcit la vue lui sembla douce par comparaison avec ce qu'elle endurait depuis si longtemps. A l'instant où ses grands yeux bleus à peine sortis de l'enfance se voilaient et où la vie s'échappait d'elle, la sorcellerie agit et elle put enfin oublier, ne se rappelant plus pourquoi elle était venue là, qui elle était, ni même pourquoi elle appelait la mort avec avidité.

On dit que quelque part dans une forêt, à la frontière de Quel'thalas et de Lordaeron, non loin d'un ruisseau, son esprit continue à habiter un vallon, oublieux de tout, mais toujours calme et rêveur, à la naïveté pure d'un enfant qui s'émerveille de la danse d'une abeille dans le soleil et si, par hasard, vous vous perdez, elle indiquera le chemin, pour que vous puissiez retourner auprès de ceux que vous aimez.