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Le Chevalier de peu par Isera Duna Contes et légendes du monde  <    Publications     > 
Le Chevalier de peu

par Isera Duna
Adapté et traduit par Ione Densilla.
Il était une fois, par-delà le pays nain et les terres maintenant inondées et malsaines du Nord, un Chevalier de peu. Troisième fils d'une modeste famille, sa vie l'avait porté dans un village si anodin que l'histoire n'en a pas retenu le nom. Là, il s'était marié, partageant avec les autres villageois les peines et les joies simples du labeur de la terre. Il aimait à répéter qu'un homme n'est pas fait pour passer sa vie à guerroyer, et que cette vie humble et sédentaire était préférable à toute autre, car on y voyait grandir les enfants et passer les saisons.

Un jour, alors qu'il était occupé aux champs, on vint le prévenir qu'un malandrin avait pénétré dans le grenier du village et qu'il menaçait, arme au poing, de se servir dans les réserves engrangées par la petite communauté. Comme l'exigeait son devoir, il laissa sa charrue et, ne prenant le temps que de se laver les mains et le visage dans un grand baquet d'eau de pluie, il alla s'opposer au pillard, l'enjoignant d'une voix forte de déguerpir.
Bien qu'il s'avançât sans arme, mal rasé et tout crotté dans une tenue de fermier qui avait connu des jours meilleurs, sa voix était ferme et son port droit, car il pouvait sans nul doute s'enorgueillir d'une grande force de caractère, naturellement forgée par une vie passée dans l'adversité et l'inconfort. Face à lui, tenant une épée courte avec une apparente désinvolture, se dressait un homme trop jeune pour s'adonner au pillage, mais avec déjà le regard éteint de ceux qui ont survécu trop longtemps aux champs de bataille.
Le vilain laissa le chevalier pérorer un moment puis, profitant de sa bonne fortune de n'avoir à affronter qu'un paysan imprévoyant, le frappa au ventre d'un coup bien appuyé du pommeau de son épée. Laissant le chevalier étendu dans la poussière, il alla ensuite tranquillement se servir dans les greniers, et son rire retentissait encore au loin lorsqu'il quitta le village.

La vie reprit son cours, sans que personne n'exprima de ressentiment envers le chevalier, car la quantité de nourriture prélevée par le brigand était relativement modique. Cependant, la raison de cette apparente générosité apparut quelques jours plus tard, lorsque celui-ci revint comme en territoire conquis, bien déterminé à refaire ses provisions au détriment du village.
— Personne, aujourd'hui, pour me faire face ? lança-t-il d'un ton moqueur en s'avançant sur la place.
Le chevalier de peu, immédiatement prévenu, mit cependant un long moment à venir s'opposer au pillard. Lorsqu'enfin il apparut, ce fut toujours sans arme, mais en grande armure et bien peigné. Certes, le plastron semblait bien terne, cabossé et trop petit. Certes, les lanières de cuir étaient sèches et craquelées, signe flagrant d'un manque d'entretien, mais enfin, même si cette armure avait connu un passé plus glorieux, ou un précédent propriétaire plus aguerri, elle saurait bien le protéger d'un mauvais coup. C'est donc d'un pas assuré, bien que manifestement gêné aux entournures, que le chevalier enjoignit, d'une voix calme mais habituée à donner des ordres, au malandrin de quitter les lieux au plus vite, sans toucher aux réserves des paysans.
Une fois de plus, le vilain laissa le chevalier discourir, comme si c'était là une sorte d'amende, ou de pénible coutume, qui lui permettrait ensuite de prendre ce qu'il estimait être son dû, car il était homme à penser qu'il est juste que le fort se nourrisse aux dépens des faibles. Quand il en eut assez, alors que le chevalier allait enchaîner une longue et ennuyeuse tirade à la morale éculée, il avança d'un pas et le frappa vivement au front du pommeau de son épée. Le chevalier s'effondra dans la boue, assommé, le front en sang, et le bandit put se servir une nouvelle fois dans les greniers en toute quiétude.

Le chevalier semblait fort mécontent de la façon dont les choses évoluaient, et l'on commençait à douter quelque peu de sa capacité à défendre le village. Mais la vie continua, car la terre n'attend pas.
Lorsque, quelque temps plus tard, le bandit se présenta aux portes du village, réclamant d'une voix à la fois moqueuse mais cependant impérieuse qu'on lui livrât sa part de victuailles, certains paysans commencèrent à se diriger vers les greniers, peut-être résignés, ou désireux d'épargner une nouvelle humiliation au chevalier. Celui-ci, pourtant, apparut bientôt, humblement vêtu comme la première fois, mais portant de manière ostensible une large lame dans un fourreau sur l'acier terni duquel on pouvait encore apercevoir un aigle bleu, ailes déployées.
Silencieux et la mine grave, il s'avança d'un pas lent, peut-être hésitant, jusqu'au mécréant. Là, il se tint immobile un court moment, semblant attendre. Enfin, en un même geste rapide et sûr, il dégaina son épée et trancha la tête du jeune pillard, qui roula dans le fossé, maculant la poussière d'un sang rouge vif.

Ceux qui se tenaient proches dirent avoir entendu le chevalier murmurer une courte prière devant le corps sans vie. D'autres furent étonnés par l'expression de son visage, à la fois triste et soulagée. Tous aidèrent à enterrer la dépouille du brigand à l'écart du village, comme il se doit. Et tous s'en retournèrent aux champs, rassurés et confiants, car la terre n'attend pas.
 
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