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Les Nombreux destins du paysan par Ione Densilla Contes et légendes du monde  <    Publications     > 
Les destins du paysan
Adapté d'un conte populaire par Ione Densilla.
Il était une fois, à la Marche de l'Ouest, alors que les terres là-bas étaient plus fertiles qu'elles ne le sont aujourd'hui et que Ruisselune était une honnête bourgade, un vieux paysan et son fils. Ils cultivaient un champ dont les revenus, loin de les rendre riches, leur permettaient une vie simple. Hormis la fermette qui avait connu des jours meilleurs, ce paysan ne possédait qu'un cheval, mais si gracieux et élancé qu'il eut été inconvenant, obscène presque, de le lier à la charrue.

Chaque jour, lorsque les travaux de la terre étaient terminés et que les ombres s'allongeaient, le vieil homme s'en allait déposer quelques fleurs sauvages sur la tombe de sa femme. Ensuite, il descendait sur la plage en contrebas avec son cheval et s'asseyait sur un rocher découvert par la marée. Alors, le voir soulever des gerbes de sable au rythme de son galop et fouetter l'écume des vagues de ses sabots était un moment de sérénité dans une vie de labeur, comme une offrande à sa défunte épouse.

Le magnifique cheval, que ses voisins enviaient, était bien connu dans la région. Souvent, de riches marchands bravaient les mauvais chemins pour venir lui faire des offres généreuses, que toujours le vieux paysan refusait. Or, un beau jour d'été, le cheval disparut.
Devant l'enclos vide, les voisins du vieil homme se laissèrent aller à d'acerbes critiques.
— Fou que tu es ! Tu aurais dû vendre ton cheval quand tu le pouvais et t'assurer une bonne vie !
— Vieil entêté, si tu avais vendu ton cheval avant qu'on ne te vole, tu aurais pu acheter d'autres champs pour ton fils !
— Quel malheur ! Tu avais la richesse et maintenant tu n'as plus rien !
Alors, le paysan se tournait vers la tombe de son épouse, humble monticule de terre décoré de quelques fleurs, puis vers la plage et l'océan miroitant, et répondait :
— Je ne sais rien de ces choses. Tout ce que je sais, c'est que mon cheval n'est plus là. Qui peut dire s'il a été volé et si c'est un malheur ?

Quelque temps plus tard, alors que les soirées devenaient plus fraiches et plus courtes, le cheval apparut au bout du chemin, trottant d'un pas léger et suivi d'une douzaine de chevaux sauvages. Dans un fracas de sabots, la petite troupe rentra sagement dans l'enclos.
Cette fois, les voisins du vieil homme, bien qu'un peu jaloux, le couvrirent de félicitations.
— Tu avais raison, ce n'était pas un malheur, c'était une chance ! Te voilà riche maintenant.
— Les dieux ont changé ton infortune en richesse, quelle merveille !
Le paysan, qui ne pouvait détacher son regard de l'enclos maintenant trop petit, imaginant déjà sans doute les cheveux galopant le long de la plage, répondait d'un ton un peu absent :
— Je ne sais rien de ces choses. Tout ce que je sais, c'est que le cheval est revenu. Qui sommes-nous pour savoir si c'est une bonne fortune ou un malheur ?

Afin d'améliorer l'ordinaire de leur vie simple et d'acheter quelques bottes de fourrage en prévision de l'hiver, le fils du vieil homme entreprit de dresser ceux des chevaux qu'il jugeait les moins rebelles. Mais il fit bientôt une vilaine chute et se brisa une jambe. Le soigneur itinérant, ayant trop tardé, ne put sauver la jambe broyée. L'amputation fut néanmoins effectuée dans les règles de l'art et le fils survécut. Les voisins, venus aider, ne purent retenir quelques lamentations désabusées sur l'inconstance des dieux.
— Tu avais encore raison. Ces chevaux n'étaient pas une chance, mais un malheur !
— Les dieux donnent, les dieux reprennent... Maintenant que ton fils est infirme, comment vivras-tu ?
Occupé à fabriquer une paire de béquilles, le vieil homme, bougon selon les uns, sage pour les autres, répondit patiemment:
— Je ne sais rien des désirs des dieux. Tout ce que je sais, c'est que mon fils aura besoin de ces béquilles, et je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose.




Avant les tempêtes d'équinoxe, la guerre était déclarée entre le Royaume et les hordes d'Orcs venues d'un autre monde, et tous les hommes valides en âge de porter les armes furent conscrits. La plupart ne reviendraient pas.
Seuls les plus âgés des voisins du paysan purent rester dans leurs foyers, et ils vinrent une fois encore commenter les événements.
— Décidément, tu avais raison, car c'était bien une bénédiction et non un malheur que ton fils soit infirme et puisse échapper à la guerre !
— La vie nous apporte fortune et revers, nous sommes ballotés en tous sens et nous ne savons même pas si nous devons rire ou pleurer.
Le vieil homme regarda ses voisins désemparés, puis l'océan infini dont le gris se confondait avec le ciel bas, et dit simplement :
— Je ne sais rien de ces choses. Comment savoir si les succès qui nous réjouissent ne vont pas se changer en catastrophes, ou si les épreuves qui se dressent devant nous ne masquent pas de véritables joies ? Nul n'en sait rien, aussi vaut-il mieux accepter ce qu'il advient sans avoir l'esprit obscurci par de vains jugements ou d'illusoires attentes. Il n'existe pas de bonne ou de mauvaise étoile, il n'y a que des gens qui tentent en vain de lire le ciel.
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