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Les Rivages du Néant par Tertius Mohiam Contes et légendes du monde  <    Publications     > 
Les Rivages du Néant
par Tertius Mohiam.
Ceci pourrait être l'histoire d'un homme qui regarde la mer.
Bien sûr, la mer n'existait plus, et l'homme, un grand Draeneï, contemplait les abîmes changeants du Néant Distordu, tout au bord d'un escarpement rocheux. Il pouvait encore entendre le grondement profond, incessant, de l'océan, tel qu'il avait battu les falaises de Draenor [1].

En d'autres temps, il fut un ardent défenseur d'Argus et prompt à la colère. Durant la Fuite, il avait rejoint l'ordre des Redresseurs de Torts, mettant sa science de la guerre au service de la Lumière, empressé cette fois à pourfendre la corruption et, plus tard, à chasser l'impie des marches sacrées de Karabor. Puis il avait été laissé pour mort à Shattrath, enseveli sous les cadavres, ses frères, lors de la destruction du sanctuaire par des Orcs rendus fous par le sang du démon.

Sans doute avait-il été amant, époux, père peut-être. Blanchis ou calcinés, les ossements ne parlent pas.
Suivant l'enseignement des ermites du désert des Flammes, il avait depuis longtemps enfoui les souvenirs, doux ou terrifiants. Tous les souvenirs qui l'éloignaient du moment présent.

Des abîmes montait l'écho lointain du grondement puissant des vagues, tel qu'il lui revenait parfois en mémoire. Jour de pluie sur l'océan gris, on s'abrite dans la maison d'un pêcheur qui partagera son repas frugal. Peut-être parlera-t-on de hauts-fonds et de rivages traîtres. Plus tard, quand le soleil sera revenu, on se souhaitera bonne fortune et il reprendra le chemin qui se perd dans les collines.

Une autre fois, il avait conduit des enfants perdus, orphelins, dans les montagnes arides de Nagrand, par des sentes oubliées pour fuir les combats dans la vallée et contourner les campements ogres. Les plus grands aidaient les plus petits, et tous suivaient le guerrier au regard un peu fou qui portait la marque des Naaru.

Il avait erré parmi les esprits corrompus d'Auchindoun, vivant parmi les morts qui se battaient entre eux jusqu'à l'épuisement. Les vagues de démence de l'esprit de D'ore, enfoui sous les décombres, ouvraient la voie au chaos et à l'oubli. Certaines nuits, les étoiles s'éteignirent, puis se rallumèrent. Et les cauchemars odieux devinrent plus forts. Des jours durant, il arpenta les galeries souterraines de la nécropole mais ne put sauver qu'une prêtresse hagarde et blessée, qu'il confia à un petit groupe de réfugiés.
 
Le rythme lent et régulier du ressac lui apportait toujours la paix. Paix du cœur et de l'âme.
Alors lui venait parfois le souvenir confus d'une comptine ou d'une histoire, celle qui le soir chassait les ombres vives et inquiétantes projetées par le feu dans l'âtre. Le conte du naa'ti [2] lui serrait encore la gorge, l'obligeant à s'asseoir dans le sable, sans qu'il sache bien pourquoi. Peut-être avait-il été enfant lui aussi, un enfant aimé et protégé par la douceur d'une mère.

Un jour, il avait été vu près d'une source d'eau vive, allongé sous un grand arbre et profondément endormi. A son réveil, il dressa patiemment des pierres blanches ou grises pour construire un autel conforme aux traditions, bien que sommaire. Il avait posé son armure ternie et abimée, puis était reparti, la laissant là.

Des voyageurs lui parlèrent d'un nouveau monde, au-delà de la Porte, qui avait accueilli ses frères et sœurs. Un monde façonné par des dieux nomades, et dont les peuples étranges et nombreux résistaient aux forces démoniaques. Un monde encore jeune, entier, en grande partie recouvert de lacs paisibles et d'océans sauvages.
Pourtant, l'écho lointain des vagues, du vent qui bruissait dans les feuillages, couchait les hautes herbes et faisait tinter l'écaille colorée des carillons, le retenait ici, sur les terres stériles de Draenor.

Ce qui fut un monde refuge n'est plus que ruines, et sa mémoire morcelée dérive lentement vers les rivages du Néant. Si vous apercevez un grand Roué [3] immobile au bord de l'abysse, le regard perdu, approchez-vous. Si votre cœur est humble et votre désespoir sincère, peut-être vous offrira-t-il son aide.
[1]. Il s'agit ici de la Draenor originale, refuge des Draeneï fuyant Argus à bord du vaisseau Génédar.
[2]. Le personnage du naa'ti est récurrent dans de nombreux contes draeneï. Voir La Trace d'une vie, publié aux Editions.
[3]. Traduction approximative du terme draeneï krokul, signifiant "ceux qui sont brisés".
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