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Le Voyage des âmes, rites et croyances d'outre-monde Mythes et pensée  <    Publications     > 
VIII. Entre deux rives, témoignages de la non-mort.
par Dalban Rusmir
Quelles que soient notre foi ou nos connaissances personnelles, force nous est de reconnaître que nous sommes désespérément démunis pour ne serait-ce qu'entrevoir la réalité de l'au-delà.
Bien qu'ils soient honnis par une large part de la population du fait de l'hérésie de leur existence dans la manière dont nous percevons l'ordre naturel, les Chevaliers de la mort sont les rares témoins ayant franchi l'ultime voile. A partir de différents témoignages de relevés, l'auteur propose ici des théories audacieuses, sans idées préconçues, sur ce qui pourrait nous attendre lorsque nous quitterons ce monde.
Le rêve, ou la crainte, d'une vie après la mort est profondément ancré dans la plupart des cultures connues. Lorsque le destin d'une âme, ou esprit, ou encore simple énergie résiduelle, est évoqué, et que par souci d'équité et de scepticisme, les promesses de la Sainte Eglise ont été écartées, l'on en vient immanquablement à se demander quels témoignages passionnants ou terrifiants rapportent les Chevaliers de la mort de leur séjour dans le royaume des défunts avant d'être rappelés parmi nous.
La littérature sur le sujet est fort pauvre, pour ne pas dire inexistante. Les raisons en sont multiples.

D'une part, les Chevaliers runiques, comme ils sont parfois appelés à tort [1], fuient la compagnie des vivants. Trop souvent considérés comme des aberrations, des bourreaux ou des créatures maléfiques, on préfère oublier qu'ils sont avant tout des victimes. Car enfin, qui souhaiterait, après son trépas, être relevé d'entre les morts par un roi fou, prendre les armes contre ses anciens frères et sœurs et être contraint à une vie d'errance, maudit parmi les maudits ?
Par ailleurs, la magie animant les morts-vivants reste un domaine fort mal considéré, et rares sont les étudiants qui oseraient faire de la nécromancie un sujet de thèse. Il est vrai que la plupart de ceux qui s'intéressent à la condition des Chevaliers de la mort le font pour d'inavouables raisons personnelles.
On comprendra donc aisément que les relevés demeurent à l'écart de la société des vivants et préfèrent rester avares de leur connaissance de la mort.

D'autre part, il nous faut bien admettre que la crainte de découvrir ce qui nous attend réellement à l'heure de notre trépas a de quoi retenir notre soif de connaissance, car il est bien possible que le royaume des morts diffère quelque peu des rassurantes visions d'un au-delà lumineux et serein, où les preux et les fidèles seront récompensés avec justesse et générosité. Qui peut en toute honnêteté ne pas ressentir de la crainte à voir démentir ses croyances les plus profondes ?

Nous avons eu le privilège de rencontrer plusieurs Chevaliers de la mort de différentes races qui ont bien voulu évoquer leur passage dans l'au-delà, de ce temps, extrêmement variable, entre leur première mort et leur rappel, assujettis au roi maudit. Une difficulté nouvelle et imprévue est alors apparue ; il semble qu'aucun de ces Chevaliers n'ait vécu la mort de manière identique.

Certains ont évoqué une lente dérive, peut-être au gré des courants telluriques, dans un monde de clarté mais sans couleur, des limbes blafardes peuplées de silhouettes floues et de voix multiples, étranges et difficilement compréhensibles. D'autres se souviennent d'un vaste monde souterrain, un labyrinthe sombre, figé et froid, dans lequel ils erraient, désespérément seuls et malheureux. Quelques uns ont rapporté des visions de cités dorés et de luxueux palais ayant toute l'apparence de la réalité. D'autres enfin sont persuadés avoir revécu dans une boucle sans fin les moments les plus marquants de leur vie, joyeux ou terribles, ou bien seulement leurs derniers instants en ce monde. Ce dernier cas évoque la triste condition de nombreux spectres, qui semblent "vivre" dans un monde qui n'est plus le nôtre, mais qui correspondrait à des moment particuliers de leur existence passée.

Il est difficile de relier ces récits aux conditions du trépas — mort au combat, ou touché par la peste du Fléau — mais aussi du rituel impie. La qualité des officiants aurait-elle pu avoir quelque effet sur le rappel ? Quoi qu'il en soit, l'on peut se demander s'il existe un au-delà unique et immuable, ou si au contraire chacun d'entre nous ne crée pas une déclinaison personnelle de l'au-delà, le peuplant suivant ses traits de caractère, ses croyances, ses peurs ou ses désirs. Cette hypothèse peut paraître hautement hérétique, mais si un maître mage parvient à modifier le monde qui nous entoure par la puissance de l'Arcane et de son imagination, ne peut-on envisager que d'autres puissantes magies permettent de créer des royaumes personnels et fantasmagoriques lors de notre décès ?

Hormis ces quelques cas particuliers, la majorité affirme se rappeler d'un "long noir", une sorte de non-existence silencieuse et éternelle, loin de tout ce que nous connaissons, où rien n'arrive, et de la sorte bien difficile à décrire avec des mots. Bien évidemment, ces souvenirs furent extrêmement décevants pour ceux qui avaient été élevés dans la foi de la Sainte du temps de leur vivant. L'on imagine que la déception, ou le sentiment d'avoir été affreusement trompé, nourri pour une part la célèbre rage de combattre qui anime les Chevaliers de la mort, mais on peut aussi penser que le conditionnement du roi maudit a modifié en profondeur la perception que ses sujets ont de la vie et de la mort.
Il est en effet sans doute plus aisé de faire combattre une personne qui a la sensation d'avoir été "sauvée" d'un oubli froid et obscur, plutôt qu'une autre qui se souviendrait avoir été tirée de force d'un éternel banquet, à goûter des mets de roi en évoquant ses hauts faits avec ceux qu'elle a aimés sa vie durant.
Les terres inhospitalières du Norfendre.
Quelle que soit la durée objective de cette mort, avant le rappel, il est passionnant de constater qu'une majorité de Chevaliers interrogés semblent se souvenir de quelque chose, même si ce n'est que d'un "grand noir", car il faut alors bien qu'une âme, un esprit ou une simple pensée nous survive pour que nous en conservions quelque mémoire, aussi imprécise et fragmentaire soit-elle. Cette hypothèse confortera la croyance d'une vie après la mort, bien que cette vie puisse prendre de nombreux et différents aspects.
Par ailleurs, cela invalide — si besoin était —, les théories extrêmes et sans nul doute hérétiques avancées par Alaric Cramlay qui considèrent l'âme comme une sorte de parasite [2].

Cependant, ceci doit être modéré par la possibilité que l'esprit des Chevaliers de la mort ait été altéré à dessein lors de leur rappel, afin de mieux remplir le sort funeste qu'il leur fut assigné. En effet, par delà leurs croyances et leur culture variées, la plupart ressentent un sentiment de déception, d'abandon, voire de dégoût d'eux-mêmes. Il semble que certains d'entre eux vont jusqu'à manifester une sorte de nostalgie malsaine du temps où ils étaient assujettis, et donc incapables d'avoir la moindre réflexion sur leur condition.

A l'inverse, nombre de ceux qui ont vécu dans la voie de la Lumière n'ont pas perdu tout espoir, et s'accrochent à la foi dans laquelle ils ont grandi, refusant de croire qu'ils sont à jamais abandonnés de la Sainte. Tous aspirent à une rédemption incertaine qu'ils espèrent connaître lors de leur seconde mort.

J'ai connu les deux rives du fleuve.
Maintenant je suis au milieu, incapable de me rapprocher d'une rive ou de l'autre.

Susan Orson, relevée humaine.


Au-delà des particularités des souvenirs du temps de leur mort, force nous est de constater d'une part la diversité de ces souvenirs, mais aussi l'espérance récurrente que l'ordre des choses prévaudra lors de leur seconde mort, que l'on souhaite définitive. Pour beaucoup, même mort, la Lumière perdue est espoir.
Cette diversité induit deux hypothèses, que l'on pourra juger osées mais qui permettent d'expliquer les souvenirs des Chevaliers de la mort. Rappelons que ceux-ci restent à ce jour les meilleurs témoins de l'au-delà.

Si plusieurs témoins rapportent une description différente d'un même lieu, soit ils ont été abusés, soit ce lieu est différent, ou possède différentes semblances. Autrement dit, l'au-delà s'apparente-t-il à des fantasmagories personnelles, régies par le caractère ou les aspirations du défunt, ou bien est-ce un univers empli d'une si puissante magie qu'elle serait susceptible d'engendrer des univers fluctuants adaptés à chacun.
La logique nous amène à penser que la solution la plus simple est à privilégier. Mais cette même logique que l'on nous enseigne, outil indispensable pour comprendre le monde qui nous entoure, se révèle une aide bien piètre lorsqu'il s'agit d'aborder le royaume des morts.
Il semble bien que le mystère insondable d'une vie après la mort, quelle que prenne sa forme, nous soit nécessaire pour affronter la vie, et surtout que ce mystère reste irrésolu à jamais, car un inconnu riche de promesses est plus agréable que le désespoir inconsolable de n'être plus que cendres et poussières à l'heure de notre mort.
***

[1]. L'ajout de runes ou d'enchantements sur armes et armures n'est en aucun cas l'apanage des Chevaliers de la mort. Ainsi, de nombreux paladins, chamans et mages-combattants gravent des runes sur leurs lames afin d'en augmenter la puissance. Toutes les notes sont de l'auteur.
[2]. Alaric Cramlay soutient, dans L'Aube noire, paru à compte d'auteur, que les âmes, attirées par la vie comme des papillons de nuit par la flamme d'une chandelle, viendraient "occuper" le corps et l'esprit des créatures vivants, de manière indépendante. Parasiter des êtres serait d'après lui l'unique moyen pour les forces de l'univers — la Lumière et le Vide —, d'agir sur notre monde physique. A notre mort, ces "âmes" retourneraient d'où elles viennent, attendant sans doute la naissance d'une autre créature vivante à occuper.

L'auteur tient à remercier, pour leurs témoignages :
Dame Susan Orson, relevée humaine,
Dame Katanja, relevée draeneï, de la compagnie Loup Gris,
Commandant Broderick d'Alhoncourt, vétéran de la campagne du Norfendre,
Sieur Robert Schmitt, relevé humain,
Ainsi que plusieurs chevaliers de la Lame d'Ebène qui ont souhaité garder l'anonymat.
Sans leurs concours, cette étude n'aurait pu voir le jour.

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