Dans des temps anciens, le monde était parcouru par de grandes créatures de pouvoir qui bondissaient d'une plaine à l'autre, volaient jusqu'aux nuages, et franchissaient les sommets des plus hautes montagnes comme on enjambe un ruisseau.
Un jour, au gré de leurs insouciants voyages, le Serpent de jade, l'Oiseau de rubis, le Buffle d'onyx et le Fauve d'argent se rencontrèrent au bord du monde connu. Quelle ne fut pas leur surprise de découvrir là, émergeant du sol, une immense pierre aux splendides couleurs chatoyantes. Peut-être était-elle tombée du ciel, brute, imparfaite, aux contours acérés, mais elle était assurément éblouissante.

Aussitôt dit, ils se mirent à l'ouvrage et, à coups de griffes, de bec, de cornes ou de crocs, jour après jour, année après année patiemment, ils polirent la pierre colossale. Le Serpent de Jade récolta la rosée de la canopée qu'il versa sur la perle ; le Fauve d'argent alla chercher la neige des montagnes éternelles ; le Buffle d'onyx s'étira vers les cieux pour récolter la pluie céleste et l'Oiseau de rubis puisa de son bec à la source de la rivière la plus pure, jusqu'à ce qu'une sphère brillante prit forme, étincelante et crépitante d'étincelles.
Ce faisant, ils devinrent de bons amis, car une même passion pour ce joyau les unissait et, leur ouvrage terminé, ils décidèrent de s'installer là où ils l'avaient trouvée. Non seulement c'était un véritable ravissement de contempler cette admirable perle, mais de plus, par les feux magiques qu'elle projetait à présent, tout devenait verdoyant. Les fleurs s'épanouissaient alentour, les paysages devenaient lumineux et les eaux bienfaisantes.

Un jour, le Roi de pierre [1], qui régnait sur ces terres du bord du monde, aperçut l'éclat formidable de la perle. Aussitôt, il désira s'en emparer, car nul bijou ne pouvait mieux convenir à un souverain. Aussi, à la faveur de la nuit, pendant que le Serpent, l'Oiseau, le Buffle et le Fauve dormaient, il parvint à dérober ce joyau, qu'il s'empressa d'aller cacher tout au fond de son gigantesque palais souterrain, dont l'entrée était protégée par neuf portes à neuf serrures.

Le lendemain matin, à leur réveil, les quatre compères ne purent que se lamenter devant la perte de leur inestimable trésor. Comme ils étaient tristes !
Ils partirent bientôt à sa recherche. Le Serpent de jade parcourut toutes les grottes connues, l'Oiseau de rubis fouilla tous les recoins de la forêt, le Buffle d'onyx arpenta chaque vallon et le Fauve d'argent chaque montagne, mais sans succès. Ils jurèrent alors de ne prendre aucun repos avant d'avoir retrouvé la perle perdue.

Or, peu de temps après, le Roi de pierre manda dans son palais l'armée des Immortels [2], afin que ses sujets puissent contempler un objet unique et merveilleux dont il avait fait l'éloge. Devant la foule assemblée, le Roi déclara :

Ce disant, il sortit neuf clés de son giron et fit jouer les neuf serrures, exhibant son trésor devant les Immortels éblouis par tant de beauté. Attiré par l'éclat soudain émanant du palais du Roi de pierre, le Fauve appela ses amis, et tous se précipitèrent en direction du palais.
Le Buffle d'onyx s'avança d'un pas lourd et mugit :

Les trois autres lui firent écho, ce qui mit Roi de pierre en colère :

Indignés, les animaux fabuleux s'écrièrent ensemble :

Alors, le Roi de pierre, saisi de fureur et de honte, protégea la perle d'une main géante et ordonna à ses généraux Immortels de chasser tout de suite de son palais ces misérables importuns.
Une grande bataille s'engagea bientôt entre les troupes Immortelles du Roi de pierre et les quatre animaux géants. Unissant leurs forces, trois des amis firent en sorte de contenir l'armée du Roi pendant que le dernier plongeait vers la perle. Mais le Roi s'interposa, et c'est dans le fracas du combat que la perle s'envola jusqu'aux limites du ciel.
Abandonnant la bataille, nos amis se ruèrent à sa poursuite, mais en vain. Lorsqu'elle retomba sur la terre, la perle éclata en plusieurs fragments qui se changèrent en lacs limpides.

Voyant ce prodige, le grand Serpent de jade, la Grue rouge, le Buffle noir et le Tigre blanc [3] choisirent de rester sur les rives des lacs, s'établissant respectivement dans une dense forêt de l'Est, dans les vertes collines du Sud, dans les steppes escarpées de l'Ouest et dans les montagnes du Nord. L'impact de la chute avait été si puissant qu'il s'était formé un cratère que l'on appellerait plus tard Val de l'Eternel Printemps.

Dès lors, les quatre animaux de la légende furent connus comme les protecteurs de cette terre du bord du monde, et certains poètes chantent encore ces paroles d'un temps ancien, qu'il serait mal venu et fort impoli de traiter de chauvins :